Transition vers l’agroécologie : des défis RH
Une nouvelle gestion des connaissances et des compétences est nécessaire pour appréhender les nouvelles pratiques agricoles. De nombreux enjeux autour des ressources humaines se dessinent. Avec davantage de travail en réseau, davantage de démarches mutualisées.Odile Maillard
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L’agroécologie, ce n’est plus un concept. Il y a un mouvement de fond, impulsé par le ministère de l’Agriculture depuis Stéphane Le Foll (2012-2017). L’enseignement s’est engagé depuis 2014 avec deux plans successifs « Enseigner à produire autrement = EPA 1 & 2 », sans oublier des « démonstrations agriculture durable » dès le milieu des années 1990. Des acteurs des filières, par exemple dans les réseaux Dephy Ferme et Dephy Expé, ont pris du temps et le risque de s’investir dans des expérimentations pilotes.
Alors, en 2021, comment gérer la transition vers une agriculture plus vertueuse et plus « durable », en termes de métiers et de compétences, de formation des jeunes et de transmission réactive et continue, de management et de gestion stratégiques des changements ?
Les Rencontres du végétal 2021, organisées à distance les 30 et 31 mars derniers par Agrocampus Ouest à Angers (49)*, ont, parmi d’autres aspects multiples**, évoqué la richesse des expériences en matière d’évolution des ressources humaines, déjà à l’œuvre, en regard de la transition agroécologique de l’agriculture. Transition qui passe à la fois par un rapprochement vers la nature et sa protection, tout en développant, en parallèle, l’intensification de l’utilisation des dispositifs, technologies, outils et solutions numériques.
1.Quels besoins en nouvelles compétences, pour quels nouveaux emplois ou fonctions ?
Les débouchés promis par la bioéconomie (voir Le Lien horticole n° 1103, p. 44-45), mais aussi l’évolution de l’activité de producteur agricole, font apparaître de nouveaux métiers. Par ailleurs « nos repères, nos connaissances, nos références sont bousculés. Tout doit être recontextualisé. D’autres modes de raisonnement sont à trouver », estime Armelle Lainé-Penel, chargée de pédagogie et de transition agroécologique à Agrocampus Ouest, qui animait une session plénière durant les Rencontres du végétal.
Arnaud Lebert a illustré comment, dans son association La Ressourceraie, à Chedigny (37), la compétence de médiateur prend de l’importance pour accompagner les producteurs dans leurs initiatives de transformation et de valorisation maximale des végétaux cultivés, de leurs sous-produits ou coproduits, trop souvent considérés comme des « déchets ». Notamment au travers de leurs « Labs » (Tomato Lab, Rosa Lab, Citrus Lab, Silva Lab…) apparaît l’importance de la mise en valeur des compétences « équitables » de chacun pour contribuer, en collaboratif, aux innovations de demain issues des végétaux.
Dans le réseau d’entreprises et de producteurs Demain la Terre, comptant près de 500 adhérents actifs, en particulier autour des fruits et légumes, c’est le choix d’entrer volontairement dans la démarche RSE (responsabilité sociétale et environnementale) qui a bousculé le plus les pratiques. En particulier les engagements sociétaux et sociaux, et l’attention portée à l’exploration et au développement de nouvelles compétences, à l’évolution des ressources humaines, partie intégrante de la RSE quand elle est bien abordée sous tous ses aspects. L’une des préoccupations chez Demain la Terre : l’insertion très large, dans les équipes, de personnes jeunes et plus âgées, en reconversion, en situation de handicap ou de maladie de longue durée, via l’aménagement des postes de travail et des tâches. « Nous essayons de toujours bien garder l’humain au centre des réflexions. Qu’est-ce qui permet de faire un produit de qualité ? C’est toujours l’humain, grâce aux compétences acquises et partagées », confie Marc De Nale, directeur général de Demain la Terre.
Selon Éric Bergue, responsable d’HortiTrace, un facilitateur de logistique pour l’horticulture, « la reverse logistic (logistique inverse, soit l’intégration des multirotations dans les circuits) fait apparaître des besoins évidents en profils de jeunes avec de bonnes bases techniques, mais très imprégnés de traitement et de gestion des data ».
RMT Naexus, tout jeune réseau de 54 organismes impliqués dans le numérique agricole, notamment pour l’expérimentation et les usages de l’agriculture numérique, identifie déjà le besoin de conseillers experts, d’accompagnateurs spécialisés pour aider les agriculteurs face aux nouveaux outils.
Benjamin Foully, chargé de mission évolution des métiers et impliqué dans la cellule d’animation nationale Dephy, annonce que, parmi les compétences à développer, on attend de plus en plus de l’écoute active (et moins du pur conseil), de l’aide à l’analyse, de la capacité à produire de nouvelles références dans un domaine où il n’en existe presque pas. Un colloque « Accompagner la réduction des phytos, tout un métier ! » est d’ailleurs annoncé pour le 3 juin prochain.
En conclusion sur le point des compétences à dénicher pour avancer dans la transition agroécologique, Marc De Nale, de Demain la Terre, assure : « La difficulté sera toujours plus de trouver des personnes qui ont des connaissances transversales, dans tous les aspects pointus comme en global, et capables d’une vision d’ensemble au fur et à mesure des évolutions. Ne pas avoir une courte vue ni un raisonnement en silo. Cette mutation telle qu’elle se dessine nécessite une vision à 360°, très complexe. Mais ce sera le gage d’une transition réussie. »
2.Comment s’organiser pour acquérir les nouvelles connaissances et compétences et gérer les ressources humaines face aux nouveaux défis ?
Les producteurs vont devoir changer « dans la tête et dans leurs attitudes au travail », a évoqué un intervenant. En fait, l’accompagnement et les « réseautages » deviennent de plus en plus indispensables. Un nouveau réflexe pour « être capables d’engager de nouvelles collaborations pour de nouvelles économies ». Ces deux aspects – transversalité et mutualisation en réseaux – ont été mis en lumière à de nombreuses reprises au cours de ces rencontres nationales.
Benjamin Foully a donné en exemple l’animation nationale Dephy Ecophyto « changements des pratiques ». Le réseau compte environ 3 000 agriculteurs engagés, 240 ingénieurs accompagnateurs et 20 ingénieurs territoriaux, 41 porteurs de projets et 166 responsables de sites d’expérimentation. Il confirme que les mutations « vers l’agroécologie vont bien plus loin qu’un changement de pratiques et qu’une simple réduction dans l’utilisation des produits phyto. Ils induisent des peurs (pertes de rendements, modification profonde du travail, davantage de difficultés…) et imposent de s’engager dans les réseaux professionnels, multipartenariaux, interfilières.
« Il faut trouver une cohérence entre les nouvelles normes professionnelles et les valeurs personnelles. Les agriculteurs travaillent toujours plus dans des processus de résolution de problèmes successifs. La force des réseaux, dont Dephy, c’est d’accompagner chaque projet de producteur dans tous les volets des changements (contexte, enjeux, environnement socioéconomique, choix de vie), à l’horizon des trois ou cinq ans. L’accompagnement en mode projet, au sein d’un réseau, aide à prendre du recul. Le groupe – qui détient une partie des réponses entre pairs – partage les méthodologies et les résultats, aidé par un « facilitateur » qui propose des outils, assure toute l’organisation des réunions et des échanges, produit des synthèses… » Benjamin Fouilly a cité en modèle le réseau Dephy d’Île-de-France sur la lutte biologique en horticulture et pépinière, autour des nouvelles approches sur les auxiliaires et les plantes de service, notamment.
Pour Arnaud Lebert, de La Ressourceraie, le producteur agricole va devenir de plus en plus un « agriculteur-artisan », notion labellisée « AA » depuis peu. C’est celui qui produit et valorise, non seulement par la commercialisation en direct, mais qui doit, de plus en plus, trouver tous les débouchés possibles, même dans d’autres filières. Une nouvelle chaîne de transformation se crée, pour d’autres fonctions du végétal. Par exemple les mûriers à soie, qui, afin d’être rentabilisés, peuvent être exploités les premières années pour de la fibre textile ou certaines parties de plantes dans la cosmétique ou les pigments. La Ressourceraie accompagne ses adhérents vers plus de diversification, dans des filières aussi différentes que la gastronomie, les débouchés pour la couleur issus de déchets alimentaires, le tourisme ou la santé, entre autres. « Il faut alors, chaque fois, que les producteurs se mettent en relation avec d’autres artisans, avec des chercheurs ou des ingénieurs, des industriels… autant de mondes qui ne se connaissent pas et ne se rencontraient pas. Il faut apprendre les mots pour se comprendre. »
Enfin, Marc De Nale a insisté sur l’intérêt de la RSE, qui a finalement instauré de nombreux échanges riches, surtout beaucoup de rencontres et de partages entre adhérents et avec les partenaires, autour des choix économiques, environnementaux, sociaux et sociétaux pour des productions « plus responsables ».
Odile Maillard*Rencontres gratuites. Prochain rendez-vous en 2023.
**Ressources organisationnelles, logistiques, durabilité des entreprises...
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